2021
Joan Judge
Une bourse Guggenheim appuie la recherche sur le savoir populaire dans la Chine du XXe siècle

2021
Une bourse Guggenheim appuie la recherche sur le savoir populaire dans la Chine du XXe siècle
Lorsqu’elle a reçu une bourse Guggenheim, la seule décernée pour les études est-asiatiques en 2021, Joan Judge a su qu’elle n’avait pas travaillé en vain. La professeure de l’Université York, spécialiste de l’imprimé et du savoir modernes, explique que son projet de recherche colossal sur l’histoire de l’imprimé populaire chinois au début du XXe siècle, intitulé « China’s Mundane Revolution: Cheap Print, Vernacular Knowledge, and Common Reading in the Long Republic, 1894-1955 », était loin de faire l’unanimité.
Dans son milieu, on lui disait de ne pas perdre son temps sur « ces vieux torchons », se rappelle Mme Judge, qui est également membre de la Société royale du Canada et qui étudie les textes populaires ayant façonné le quotidien de la société chinoise du XXe siècle.
« La bourse Guggenheim vient tendre la main à un domaine du savoir laissé pour compte, raconte-t-elle. C’est un énorme appui pour ceux qui s’intéressent au sujet et ça le valorise auprès des jeunes chercheurs. »
« C’est un travail d’une complexité inouïe », ajoute-t-elle en décrivant la tâche comme un « travail d’archéologie qui vise à creuser sous la trame historique qu’on connaît déjà », comme les révolutions chinoises du XXe siècle. Ses sources sont constituées de textes commerciaux imprimés à moindre coût, qui n’ont généralement pas abouti dans les grandes collections de bibliothèques. Mettre la main sur ces imprimés était un réel défi, mais elle possède maintenant une base de données qui en recense environ 500.
Mme Judge a continué ses activités de recherche malgré les critiques : « Parfois, il faut se faire confiance. Au fur à mesure que je découvrais de nouveaux textes, je plongeais dans leurs multiples couches de sens, et je pouvais faire des parallèles entre le banal et le mémorable, entre un mode de raisonnement pragmatique et ce qu’on considère être la science. » Ses recherches s’échelonnent de la fin des années 1890 jusqu’à l’accession des communistes au pouvoir en 1949.
« À l’époque, beaucoup de choses arrivaient de l’étranger : maladies, objets, idées », explique-t-elle. Au même moment, le lecteur moyen, qui n’était que peu instruit, devait composer avec les bouleversements de son temps, comme les flambées de choléra, l’augmentation de la production d’opium, et l’arrivée de nouvelles technologies telles que l’électricité.
« J’ai choisi quelques problèmes récurrents, puis j’ai essayé de saisir ce que les gens savaient sur ces questions. Je suis partie du principe que leurs connaissances avaient de la valeur, parce qu’elles se basaient sur une expérience en laquelle ils avaient confiance. On peut tirer des leçons de leurs apprentissages, en particulier de la médecine chinoise, de leur manière de voir la nature et, plus largement, de leur manière d’aborder des questions complexes sur le savoir et la politique. »
Mme Judge prévient que tout pays prend des risques en ignorant ce genre de connaissances, citant en exemple les savoirs autochtones au Canada et ailleurs dans le monde.
« On peut faire des liens très directs avec d’autres formes de savoirs autochtones. On en voit les traces partout dans le monde occidental, avec la détérioration de l’environnement. On n’en serait pas au même point si on avait été plus réceptif à la vision et à l’approche qu’ont les communautés autochtones de la nature, et à leur manière de la respecter. »
« Le savoir n’est pas statique, il évolue à mesure qu’on trace des liens. Le danger qui nous guette est d’avoir une visée de purification du savoir, de vouloir le réinventer ou le calquer sur le mode de vie occidental, ou encore de s’accrocher à une idéologie. On se ferme trop de portes avec cette approche. »
Mme Judge est reconnaissante d’avoir pu rassembler les sources nécessaires à sa recherche, étant donné le contexte politique chinois actuel et les restrictions liées aux déplacements. Elle espère pouvoir consigner le résultat de son travail dans un livre dans l’année à venir.