2021
Lenore Fahrig
« Ce n’est pas la taille qui compte » : une chercheuse remet en question les règles de la protection du territoire

2021
« Ce n’est pas la taille qui compte » : une chercheuse remet en question les règles de la protection du territoire
On ne penserait pas que des mécanismes de protection du territoire sèmeraient la controverse, mais le sujet est plus complexe qu’il n’y paraît. C’est l’objet d’étude de Lenore Fahrig, biologiste à la Carleton University et lauréate de 2021 d’une bourse Guggenheim.
« Disons qu’on veut protéger 100 hectares de milieu forestier. Est-ce préférable de délimiter une grande zone de 100 hectares ou de définir dix petites zones qui totalisent la même superficie? Dans les années 1970, on pensait qu’il valait mieux protéger la grande zone. »
« Mais on a mené des tests et réalisé qu’on trouvait davantage d’espèces dans dix petites zones que dans une seule grande zone », explique Mme Fahrig.
L’étude de cette question fait partie de ses travaux de recherche sur les effets de la structure du paysage sur l’abondance, la répartition et la persistance des espèces. Étant donné que les activités humaines comme l’industrie forestière, l’agriculture et le développement industriel transforment fortement le paysage, les résultats de ses travaux seront pertinents pour circonscrire les aires à protéger.
La bourse Guggenheim permettra à Mme Fahrig d’analyser les conséquences de la fragmentation des habitats sur plusieurs espèces. Cette étude s’inscrit dans les travaux de longue haleine qu’elle mène sur le sujet.
Elle s’intéresse entre autres aux politiques gouvernementales sur la protection des territoires naturels. « L’idée qui est généralement véhiculée, c’est que c’est la taille qui compte. C’est problématique, parce que si on tient pour acquis que la faune et la flore des petits habitats ont peu d’importance, des milliers de petites aires pourraient ne pas être protégées, malgré leur grande biodiversité. Si elles sont détruites, les effets sont dévastateurs. »
« Notre intuition nous amène à penser que les espèces plus grandes ou en danger seront mieux protégées par une grande zone, comme les espèces du milieu forestier, par exemple. Ça semble logique parce qu’avec dix petits carrés d’aire protégée, il y a plus de zones en périmètre et une moins grande superficie interne dont ont besoin ces espèces. Certains pensent donc qu’il y aurait plus d’espèces dans une seule grande zone que dans plusieurs petites zones, mais qu’en est-il vraiment?
On a tendance à extrapoler à partir d’observations faites à petite échelle. Les gens se basent sur un modèle qui compare le nombre d’espèces au périmètre de la forêt à celui de la superficie interne, puis appliquent cette même logique à l’échelle d’une région entière. Pourtant, il y a plusieurs autres facteurs qui entrent en jeu et qui peuvent démentir cette prédiction. Et tout ça n’a pas été testé. »
Certaines politiques gouvernementales ne protègent que de grands territoires.
« Le problème, c’est que dans les régions du monde à majorité humaine, nous avons déjà perdu environ 80 % ou plus des habitats naturels, et ceux qui restent sont très petits. Donc ne pas protéger les petites superficies soutient qu’elles n’en valent pas la peine, alors que c’est tout l’inverse et qu’elles contribuent beaucoup à la biodiversité. »
La chercheuse affirme que ces travaux sont importants étant donné la crise mondiale de la biodiversité. « On peut difficilement savoir combien d’espèces ont disparu à cause des activités humaines. »
Elle espère que ses travaux de recherche sauront trouver des pistes de solution à la crise.